Que faut-il attendre du ralentissement à venir?
Les perspectives économiques se sont rapidement assombries en deuxième moitié d’année. La force de l’inflation, jumelée aux importantes hausses de taux d’intérêt décrétées par les banques centrales à travers le monde pour y faire face, inquiètent de plus en plus de ménages, d’entreprises et d’économistes. La situation pèse également sur les perspectives canadiennes alors que des institutions financières ont déjà brandi le spectre d’une récession.
Peu importe le terme utilisé pour décrire l’état de l’économie dans les mois à venir, ou même les prévisions qui y font écho, une chose est certaine: l’économie canadienne est appelée à ralentir au tournant de 2023.
Il importe davantage de savoir comment la situation affectera l’économie. La lettre économique de ce mois-ci brosse un portrait des industries plus à risque d’éprouver des difficultés l’an prochain. Le ralentissement économique a été causé, sans surprise, par le resserrement des conditions de crédit. Après plus d’une décennie à jouir de faibles taux d’intérêt, les ménages, les entreprises et les gouvernements doivent maintenant composer avec des coûts de financement bien plus élevés et une inflation qui exerce une forte pression sur leurs budgets.
Évidemment, ce n’est pas la première fois que l’économie canadienne est confrontée à une période de resserrement de sa politique monétaire. Il y a donc des impacts plus faciles à voir venir que lorsque le recul de l’activité économique provient d’un choc inattendu, à l’image de la COVID-19. Les entreprises plus à risque d’éprouver des difficultés en 2023 sont celles dont l’activité repose sur la consommation discrétionnaire, financée par emprunt ou dont l’activité est liée au développement des États-Unis. Le contexte postpandémique dans lequel l’économie évolue présentement apporte tout de même quelques nuances par rapport aux derniers épisodes semblables de resserrement de conditions de crédit.
Érosion du pouvoir d’achat – la consommation discrétionnaire dans la mire La consommation discrétionnaire englobe un florilège de sous-secteurs qui ne sont pas liés les uns aux autres, si ce n’est qu’ils dépendent tous de la confiance des consommateurs. Il s’agit de secteurs qui fluctuent davantage avec les perturbations de l’économie puisqu’ils ne sont pas essentiels. On y retrouve entre autres les biens de consommation durables, les vêtements et les services aux consommateurs comme les hôtels, les loisirs, les restaurants et les détaillants. La hausse du taux d’intérêt et de l’inflation gruge le pouvoir d’achat des consommateurs, ce qui les amène à allouer une plus grande part de leurs budgets vers des dépenses de base, notamment les denrées alimentaires, le logement et le transport. Ce sont d’ailleurs ces catégories de consommation qui connaissent les plus importantes hausses de prix. Une fois l’épicerie faite, le loyer payé et le montant nécessaire pour se rendre au travail dépensé, il reste de moins en moins de latitude dans le budget pour la consommation discrétionnaire. Le marché du travail tendu s’accompagne de hausses salariales significatives. Mais, même si les travailleurs canadiens ont profité ces dernières années d’augmentations de revenus plus élevés qu’habituellement, ce n’est toutefois pas assez pour suivre la hausse du coût de la vie sans changer ses habitudes de consommation. Le petit bémol est que plusieurs secteurs d’activité jouissent encore de la demande refoulée, héritée de la pandémie. L’engouement pour les voyages et les sorties devraient se tempérer au rythme de l’impact graduel des hausses de taux dans l’économie, mais le ralentissement s’annonce moins abrupte, n’eût été des confinements des deux dernières années.
Emprunter pour dépenser: les Canadiens mettent la pédale douce Quand les coûts de financement augmentent, les premiers secteurs à en ressentir les effets sont évidemment les achats d’envergure, car ceux-ci sont typiquement financés par emprunt. Le secteur immobilier et l’industrie de la construction viennent évidemment en tête. Depuis la première hausse de taux annoncée par la Banque du Canada, en mars 2022, les ventes de propriété résidentielles au pays ont ainsi chuté de 36 % et le prix moyen de 17 %. Ce ralentissement devrait se poursuivre dans les prochains mois.
Les taux d’intérêt hypothécaires connaissent la plus importante augmentation depuis les 30 dernières années, ce qui tempère non seulement la demande pour les nouveaux emprunts, mais se reflète aussi directement sur les paiements de ceux qui ont des prêts à taux variables et constitue également un fardeau de taille pour les ménages dont le renouvellement approche. Le manque de logements à l’échelle nationale et la rareté de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction adoucit le ralentissement qui devrait déjà avoir été commencé sur les mises en chantier, et ce malgré les hausses de prix et de coût d’emprunt. Celles-ci ont bondi de 11 % en septembre par rapport à août. Près de 300 000 unités annualisées ont été mises en chantier au courant du mois, soit le niveau le plus élevé en près d’un an.
L’achat de véhicule a aussi tendance à diminuer plus rapidement que d’autres biens en période de ralentissement économique. Encore une fois, le contexte postpandémique vient nuancer cette tendance puisque les consommateurs à la recherche d’un véhicule pendant les deux dernières années se sont heurtés à des délais importants et une flotte restreinte.
Ralentissement mondial: le manufacturier au front Historiquement, la fabrication industrielle tend à être plus durement touchée en période de difficultés économiques – particulièrement lors de ralentissement mondial. La mondialisation a eu un impact important sur le co-mouvement des cycles économiques internationaux. Malgré la multiplication des accords de libre-échange ces dernières années, les exportations canadiennes demeurent tributaires en majorité des États-Unis. C’est ce qui explique une grande partie du lien serré qui existe entre nos deux économies. Le secteur manufacturier est significativement plus exposé au développement nord-américain que les autres. Alors que 75 % des exportations canadiennes se dirigent vers les États-Unis, 65 % sont des produits manufacturiers. Les manufacturiers sont d’autant plus vulnérables au ralentissement économique qui se trame ces temps-ci. D’une part, le ralentissement se fera sentir dans le monde entier. Les problèmes énergétiques en Europe et la crise de la dette immobilière en Chine assombrissent davantage les perspectives de croissance mondiale déjà en baisse à cause du resserrement des conditions financières. D’autre part, ce ralentissement passera par une baisse de la demande pour les biens durables et les matériaux de construction. Les industries manufacturières de métaux et minéraux, de bois d’œuvre, de machineries et de meubles seront plus touchées par le ralentissement, tandis que les fabricants du secteur agroalimentaire, de produits pharmaceutiques et de matériel de transport devraient continuer à jouir d’une bonne demande. La force du dollar américain pourrait également tempérer marginalement le ralentissement des exportations et, par conséquent, du secteur manufacturier.
En somme, face à la montée des taux d’intérêt, l’économie canadienne est appelée à ralentir. Le ralentissement ne frappera pas toutes les industries au même moment ni avec la même force, mais toutes les entreprises ont intérêt à se préparer à ce qui les attend. Personne ne se fait renverser par un train qu'il voit arriver..