La hausse des taux d’intérêt provoquera-t-elle la chute de l’économie?
À chaque resserrement des conditions financières, les banques centrales jonglent avec le risque de faire basculer l’économie en récession. Ces derniers mois, la fameuse expression « mot en R » faisait davantage référence à résilience que récession lorsqu’on parlait de l’économie canadienne. Mais voilà que la Banque du Canada a recommencé à hausser les taux d’intérêt. La fin de la pause annoncée au début de l’année vient donc raviver les inquiétudes. L’économie canadienne peut-elle encore espérer un atterrissage en douceur?
Le défi des banques centrales Décider de la meilleure direction que prendra une politique monétaire n’est jamais simple. Le contexte des derniers mois s’avère un casse-tête d’envergure pour les décideurs de politiques monétaires à travers le monde. Au Canada, l’inflation montre des signes d’amélioration, mais il reste encore du travail à faire avant qu'elle ne retourne à la cible de 2 % alors que la croissance du PIB et de l’emploi se poursuivent au pays.
Cette période de resserrement des conditions de crédit est la plus rapide des dernières décennies, alors qu’une augmentation de 475 points de base en 18 mois ne s’était jamais vue. Les hausses de taux directeur font leur chemin dans l’économie pendant plusieurs mois. Une seule hausse de taux directeur aura ainsi des effets plusieurs mois encore après son annonce. Le fait que les cycles de resserrement aient historiquement eu tendance à se conclure par une récession pourrait être une raison suffisante d’y mettre fin.
C’est d’ailleurs pourquoi le risque de voir les banques centrales en faire trop pour resserrer le crédit, et par ricochet trop ralentir l’économie, inquiète donc un peu plus à chaque nouvelle annonce par la Banque du Canada.
L’économie canadienne peut-elle absorber la plus récente hausse de taux? La Banque du Canada aura récidivé une fois de plus le 12 juillet. L’augmentation de 25 points de base supplémentaire portait ainsi le taux directeur à 5,0 % – un niveau jamais vu au pays depuis 2001. Le conseil des gouverneurs espère ainsi ramener l’inflation encore plus près de sa fourchette cible située entre 1 et 3 % (le niveau de 2 % en est en réalité le point milieu). Il importe de se rappeler que la Banque du Canada a pour mandat d’assurer le contrôle de l’inflation et non la croissance du PIB à proprement parler.
L’inflation, mesurée par la variation annuelle de l’indice des prix à la consommation, a diminué rapidement en mai à 3,4 % (comparativement à 4,4 % en avril). L’inflation se rapproche donc de la limite supérieure de la braquette visée par la Banque du Canada qui estimait toutefois avoir encore besoin de resserrer la vis pour assurer la stabilité des prix.
La fameuse lutte à l’inflation devrait toutefois se calmer, après l’annonce de juillet, puisque les hausses antérieures de taux touchent un peu plus de ménages et d’entreprises chaque mois et devraient donc s’avérer suffisantes pour atténuer l’inflation. Pour l’instant, seulement le tiers des prêts hypothécaires auront été affectés par la hausse des taux d’intérêt depuis mars 2022. Ce ratio atteindra 50 % d’ici la fin de l’année et l'augmentation médiane des paiements au cours de la période 2023-26 sera d'environ 20 %, selon la Banque du Canada.
L’endettement des ménages canadiens est élevé, en moyenne, les Canadiens doivent 1,85 $ pour chaque dollar de revenu disponible. La capacité des ménages à répondre à leurs obligations financières deviendra de plus en plus ardue pour de plus en plus d’entre eux. D’autant qu’il y a un risque de voir la Banque du Canada et la Réserve fédérale pousser leurs économies respectives en récession, mais ce n’est pas notre scénario de base à court terme.
La fin de la Grande Modération Des bouleversements dits structurels menacent de plus en plus la relative stabilité économique à laquelle les Canadiens et Canadiennes s’étaient accoutumés ces dernières années. La fin des gains importants associés à la mondialisation, la décarbonation de l’activité économique, la destruction des ressources naturelles par la multiplication des désastres naturels, et les problèmes de main-d’œuvre soutenue par une population vieillissante sont tous des facteurs qui restreindront l’offre dans les prochaines années et exacerberont la pression sur les coûts des entreprises.
L’inflation devrait revenir à 3 % (soit la limite supérieure de la fourchette cible) d’ici la fin de l’année, mais ramener l’inflation à 2 % prendra plus de temps. À moins d’un choc important qui plongerait l’économie mondiale en forte récession, à l’image de la pandémie, les taux d’intérêt resteront plus élevés que ce à quoi les ménages et entreprises étaient habitués depuis la grande crise financière de 2008-09. D’ailleurs, une inflation hors de contrôle s’avérerait plus dommageable à long terme qu’une récession.
Pas un effondrement, mais bien un ralentissement Au final, malgré des taux d’intérêt qui demeureront plus élevés, les consommateurs restent aptes à remplir leurs obligations financières tout en maintenant un certain niveau de dépense de consommation. La raison de notre optimisme prudent repose essentiellement sur le marché du travail qui continue à bien performer dans son ensemble alors que l’emploi a augmenté de près d’un demi-million en un an et que le revenu disponible des ménages est toujours robuste. Les dépenses et investissements des divers gouvernements soutiendront également la croissance économique qui restera tout de même modeste pour les douze prochains mois.
L'avantage d'un ralentissement généré par le resserrement des conditions de crédit est que la Banque du Canada disposera d'une plus grande marge de manœuvre pour abaisser les taux afin d'éviter un ralentissement plus grave de l'économie.